Contrat de partenariat public-privé dans la défense : vers une économie de l’usage

Contrat de partenariat public-privé dans la défense : vers une économie de l’usage

Le 17 juin 2004, la publication de l’ordonnance relative aux contrats de partenariat est un acte de rupture. Dans un pays de tradition étatiste où la personne publique prend le pas sur son cocontractant, l’unilatéralisme était la règle et le partenariat l’exception.

ÉCRIT PAR
Guillaume Fonouni-Farde
Guillaume Fonouni-Farde
Membre de la chaire « Économie des Partenariats Public-Privé »
Université Paris I

En 2004 pourtant, l’Etat renoue avec l’idée partenariale, importée des contrats privés. Le contrat dit de « partenariat », renforcé par la loi de modernisation de 2008, vise à l’instauration d’une véritable logique « gagnant-gagnant », allant jusqu’à consacrer l’existence juridique de l’initiative spontanée[1].

Dans le secteur de la défense, le contrat de partenariat a été initialement perçu comme un possible levier de financement, dans un contexte budgétaire contraint. Il devait permettre la réalisation d’économies par le passage de l’acquisition patrimoniale à l’achat d’un service. Dès la publication de l’ordonnance, le ministère de la Défense a lancé plusieurs projets et le plus emblématique d’entre eux, Helidax, voit le jour début 2008.

En 2011, le Ministry of Defence avait ainsi signé plus de 50 contrats pour un montant supérieur à 9 milliards de livres

Outre-Manche, le gouvernement britannique avait anticipé l’effet ciseau né de la raréfaction des finances publiques et de l’accroissement des besoins d’investissement. Il a dès le milieu des années 1990, diversifié les modalités de concours du secteur privé au financement et à l’exploitation des services publics, par le recours massif aux contrats dits de Private Finance Initiative (PFI). En 2011, le Ministry of Defence avait ainsi signé plus de 50 contrats pour un montant supérieur à 9 milliards de livres. Parmi ces contrats, dont certains ont une durée de trente-cinq ans, les trois plus importants en montants sont les contrats dits FSTA (avions ravitailleurs), Skynet 5 (communications satellitaires) et Allenby Connaught (infrastructure et services).

Dresser un premier bilan du PFI britannique n’est guère aisé. Alors que le consensus se fait sur le respect global des délais et des coûts, les effets du recours au PFI sur les finances publiques britanniques sont sujets à débat. Le surdimensionnement du contrat FSTA[2] est souvent mis en avant. Voir en ces réserves une disqualification définitive du PFI atteste d’une certaine méconnaissance des mécanismes de la gestion publique outre-Manche. À l’inverse de la France, le mode de gestion est moins adossé au principe de précaution donc plus volontiers expérimental. Si le recours au PFI cherche aujourd’hui son point d’équilibre, les capacités de projection de l’armée britannique ne sont pas entamées, ses équipements sont financés et ses avions ravitailleurs ont le mérite de présenter des taux de disponibilité largement supérieurs à ceux de la France…

En France, le ministère de la Défense est le premier à s’être intéressé aux avantages du contrat de partenariat et ce, dès le lancement de la Stratégie Ministérielle de Réforme (SMR) en 2003[3]. Plusieurs projets sont rapidement identifiés. Ils débouchent sur la notification des contrats de partenariat dits « Helidax[4] », « Balard[5] », « RDIP Air[6] », « Roc Noir[7] », « CNSD[8] » et « ISAE[9] », soit un total de six contrats à la fin de la XIIIème législature en 2012. Parmi eux, les contrats de partenariat Helidax et RDIP Air se distinguent par leurs performances. Ils demeurent aujourd’hui les seuls contrats de partenariat dits « équipementaires ».

Helidax bénéficie du recul nécessaire pour un premier bilan critique. Le contrat porte sur la fourniture d’heures de vol au profit de l’École de l’aviation légère de l’armée de terre à Dax. D’une très grande lisibilité, il partage les risques entre le partenaire privé qui réalise les investissements nécessaires, et la partie publique qui lui rémunère les heures de vol effectuées[10]. Dans son rapport de février 2011 consacré à l’externalisation au sein du ministère de la Défense[11], la Cour des comptes constate que les 36 hélicoptères EC 120 « Colibri » ont un taux de disponibilité parfaitement conforme. Le cœur de métier militaire a été préservé, la qualité du service est supérieure et des gains budgétaires sont constatés.

L’État en attend un réel bénéfice économique grâce à la mutualisation de ressources d’ingénierie

RDIP Air consiste pour sa part en la modernisation des transmissions de l’armée de l’air. 36.000 points de desserte IP doivent être équipés d’ici 2014, et l’exploitation sera assurée par le consortium Alcatel Lucent – Cofely Ineo jusqu’en 2027. Ineo, filiale du groupe GDF Suez, est spécialiste des infrastructures techniques de défense. Le contrat court sur une durée de 16 ans pour une valeur de 350 millions d’euros. Outre la qualité de service, l’État en attend un réel bénéfice économique grâce à la mutualisation de ressources d’ingénierie employées sur d’autres projets, ainsi qu’à la vitesse de déploiement des réseaux.

Aujourd’hui, l’élan semble pourtant retombé. Des deux derniers projets de contrat de partenariat encore en phase de passation au début de la XIVème législature[12], le projet dit « RoRo », portant sur la mise à disposition de cinq navires rouliers au profit du ministère de la Défense, a été abandonné le 29 octobre 2012. Cet abandon n’annule pourtant pas le besoin du ministère en moyens de projection et au-delà des navires rouliers, plusieurs équipements des armées doivent être urgemment renouvelés sans que le ministère ne dispose véritablement des ressources nécessaires pour procéder à une acquisition patrimoniale.

Le ministère de la Défense ne décaisse alors l’argent public qu’en fonction du strict périmètre de son besoin

Dans ce contexte, le non recours au contrat de partenariat conduirait le ministère de la Défense à se couper de sources de financement privé, au moment où les ressources publiques se raréfient. Le succès du contrat Helidax démontre que le modèle du contrat de partenariat ne peut être écarté par principe. Le recours au contrat de partenariat permet de confier le financement et la maintenance d’équipements neufs à des partenaires privés qui s’engagent sur la fourniture d’un service. Le ministère de la Défense ne décaisse alors l’argent public qu’en fonction du strict périmètre de son besoin et il s’affranchit ainsi des coûts de maintenance liés à la sous-utilisation de ses actifs ou à leur vieillissement. Ce passage d’une logique patrimoniale à une logique capacitaire éclaircirait ainsi des horizons que les acteurs du secteur de la défense perçoivent légitimement comme assombris.

L’indépendance de la Nation implique celle de son outil de défense et le renouvellement des équipements de défense passe par le renouveau du contrat de partenariat dont les potentialités, en matière de service, restent largement sous-exploitées.

Convaincu que la France « n’est réellement elle-même qu’au premier rang », le général de Gaulle a su bâtir l’outil de défense de la France. Garant de l’indépendance nationale, cet outil a démontré son efficacité tout au long de la Vème République. Dans les années 1990, il réussit avec succès sa première transformation  et surmonte avec efficacité le défi de la professionnalisation. La conjoncture budgétaire actuelle impose aux armées un second défi autrement plus rude : celui de la réduction du format et de la baisse des moyens. Deux attitudes sont alors possibles. La première consiste en la résignation, et en une révision à la baisse de la défense française, de sa diplomatie et de ses prétentions internationales. Une autre, plus dynamique, consiste à préserver notre rang et notre indépendance par l’introduction de modèles managériaux alternatifs où l’achat de capacités remplace l’acquisition des équipements eux-mêmes. L’équipement n’a pas besoin d’être acquis pour être mis à disposition. L’État locataire n’est pas plus démuni que l’État propriétaire dès lors qu’il reste un État efficace, assurant ses fonctions régaliennes et délivrant le service requis. Le contrat de partenariat demeure un contrat d’avenir et doit pouvoir contribuer, à sa juste mesure, à l’avenir de la défense française.

Nota : cet article a été rédigé avant la publication du « Livre Blanc ».

NOTES [1] Aux termes de l’article 10 de l’ordonnance précitée, « lorsque la personne publique est saisie d’un projet par une entreprise ou un groupement d’entreprises et qu’elle envisage d’y donner suite en concluant un contrat de partenariat, elle conduit la procédure de passation dans les conditions prévues par les articles 2 à 9 de la présente ordonnance ». [2] Mal négocié, le contrat FSTA a entrainé l’achat par la Grande-Bretagne d’un trop grand nombre d’heures de vol de MRTT. Pour pallier cette surcapacité, le MoD a proposé, sans succès, la vente d’heures de vol à la France à l’automne 2011. [3] La directive (26 mai 2003) lance officiellement la SMR qui avait pour objet initial de définir un cadre général à la démarche d’externalisation au sein du ministère de la Défense. [4] Contrat (31 janvier 2008) portant sur la fourniture d’heures de vol d’hélicoptère EC-120 au profit de l’EALAT à Dax. [5] Contrat (30 mai 2011) portant sur le regroupement des services parisiens du ministère de la Défense sur le site de Balard. [6] Contrat (22 août 2011) portant sur la mise à disposition d’un réseau de desserte IP au profit de l’armée de l’air. [7] Contrat de performance énergétique (21 novembre 2011) concernant le Quartier Roc Noir à Chambéry. [8] Contrat (22 décembre 2011) portant sur la rénovation et la fourniture de services au Centre National des Sports de la Défense à Fontainebleau. [9] Contrat (24 janvier 2012) portant sur la construction de la résidence étudiante de l’ISAE. [10] Le contrat prévoit un montant plancher correspondant à un nombre minimal d’heures de vol auquel s’ajoute une part variable. Au delà, de la 22 000ème heure de vol, soit le plafond, l’heure est facturée au coût marginal. [11] Cour des comptes, 2 février 2011, page 109. [12] Dernier contrat de partenariat en phase de passation, le contrat dit BSAH portant sur la fourniture de huit navires d’assistance hauturière au profit de la marine nationale, devrait être adjugé dans le courant de l’année 2013.