Transposition de la « Directive défense » : Abistis, dulces caricæ?

10 avril 2012

Guillaume Fonouni-Farde, 2012, Transposition de la « Directive défense » : Abistis, dulces caricæ?

Abstract:La garantie de la souveraineté de l’Etat implique l’indépendance nationale. En 1958, le Constituant a confié la garantie de l’indépendance nationale au Président de la République[2], comme pour mieux souligner les liens étroits qui unissent l’indépendance nationale et la souveraineté de l’Etat.

La République française ne saurait être obligée par une quelconque norme qui lui serait exogène[3] ou commandée par un Etat tiers et il est de la responsabilité du chef de l’Etat d’y veiller.

Aussi le Président de la République est-il constitutionnellement investi de la fonction de commandement des forces armées[4] dont la principale mission de service public consiste en la protection des intérêts vitaux de la Nation. L’indépendance des forces armées revêt ainsi le même degré d’importance que l’indépendance de la Nation elle-même, la garantie de la première découlant directement de la garantie de la seconde. La capacité du Président de la République à satisfaire l’exigence constitutionnelle d’indépendance nationale reposant, pour une large part, sur l’efficacité de l’outil de défense français, la satisfaction des besoins d’approvisionnement militaire exprimés par les forces armées est de nature impérative[5]. Cet approvisionnement doit être sécurisé, autonome et indépendant des désidératas d’industriels étrangers ; il serait inconcevable, en effet, que la menace de rupture d’approvisionnement de tel ou tel système d’armes par un industriel étranger infléchisse les orientations diplomatiques françaises[6].

Ce double impératif de sécurisation et d’autonomisation de l’approvisionnement défense appelle la constitution, le maintien et le développement d’une Base Industrielle et Technologique de Défense[7] (BITD). D’après J-M. OUDOT, « la BITD regroupe des compétences spécifiques et pointues, longues et difficiles à acquérir. Les pouvoirs publics considèrent qu’ils ne peuvent pas prendre le risque de perdre ces compétences, au risque de réduire leur autonomie sécuritaire et stratégique sur la scène internationale […][8]. » Les marchés passés avec les industriels dans les domaines de la sécurité et de la défense participent de la garantie de l’indépendance nationale et de la souveraineté de l’Etat. Ils revêtent, à ce titre, une importance stratégique particulière qui fonde leur distinction des marchés publics communs. La négociation de ces contrats spécifiques nécessitait donc l’instauration d’un dispositif normatif propre, exorbitant du droit commun des marchés publics et exempt de procédures de publicité et de mise en concurrence[9].

Historiquement, le droit de l’Union européenne n’a jamais méconnu les spécificités des marchés publics passés dans le domaine de la sécurité et de la défense, peu s’en faut. Dès lors que la « Commission Delors » a eu pour mandat de parfaire l’achèvement du marché intérieur, le législateur européen a eu à connaître de la spécificité des contrats passés dans les domaines régaliens. Dans la continuité de l’article 296 TCE, l’article 346 TFUE dispose ainsi que « tout État membre peut prendre les mesures qu’il estime nécessaires à la protection des intérêts essentiels de sa sécurité et qui se rapportent à la production ou au commerce d’armes, de munitions et de matériel de guerre». Il incombait ainsi à chaque Etat-membre de préciser, dans son ordre juridique interne, les dispositions particulières et, le cas échéant, dérogatoires du droit commun, applicables aux marchés de défense et de sécurité passés en application de l’article 346 TFUE.

Forte de la liberté normative que lui conférait le droit de l’Union européenne et soucieuse du maintien et du développement d’une BITD domestique, la France avait ainsi mis en place un dispositif normatif exorbitant du droit commun des marchés publics[10] (I).

Cependant, à l’heure où les avancées de la construction européenne poussent à l’unification du marché intérieur – y compris d’un point de vue normatif – et à l’édification d’une BITDE (européenne) dans le cadre de la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD), la publication de la directive 2009/81/CE du 13 juillet 2009 transforme ce dispositif normatif interne et fait le pari de la conciliation des intérêts domestiques et européens en matière de sécurité et de défense (II).

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